lundi 23 novembre 2015

Chapitre IV : Le projet

Le lundi 8 décembre, je me rends donc à Saly, une ville située sur la « petite côte », à une soixantaine de kilomètres au sud de Dakar. Cette fois-ci, c'est par un vol intérieur que je me rends sur place. J'en profite donc pour découvrir le Sénégal vu du ciel. A l'approche de Saly, j'aperçois l'institut. Je suis impressionné par la modernité de ce complexe, sans équivalent dans le pays. Nous nous posons à l’aérodrome, situé à tout juste 2 kilomètres de l'institut.











En arrivant au centre, Patrick me reçoit, accompagné de Saer Seck, le président du pôle Sénégal des Diambars, ainsi que Pape Boubacar Gadiaga, le coach de l'équipe. Une fois les salutations traditionnelles effectuées, j'ai le droit à une visite de l'ensemble de l'institut : je découvre les terrains synthétiques, la piscine pour la récupération, les dortoirs hébergeant les pensionnaires…

Nous nous installons ensuite dans le bureau de Saer Seck. Il prend la parole :
- Junior, encore merci d'être venu jusqu'à nous. Nous sommes flattés de l'intérêt que tu portes à notre projet. Comme Patrick a dû te l'expliquer, nous allons agrandir notre pôle Grande-Bretagne en créant un club, les Diambars UK. Il sera situé à Stockport, dans le Grand Manchester. Ce projet a plusieurs missions. Au niveau sportif, il s'agit d'offrir un débouché à nos meilleurs jeunes, afin qu'ils puissent aller s’aguerrir dans le football européen. Cela devrait favoriser leur transfert dans des clubs du Big-5 par la suite, car nous peinons actuellement à exporter nos jeunes. Quelques uns ont bien eu leur chance au LOSC, en particulier Idrissa Gueye que tu connais sûrement. Mais nos autres joueurs, quand ils parviennent à obtenir un contrat en Europe, se retrouvent bien souvent dans des championnats mineurs tels que la Norvège ou la Suisse.

- Pourquoi avez-vous choisi l'Angleterre ?

- Nous avons longuement réfléchi et prospecté, tu t'en doutes. La France peut sembler être une destination plus indiquée pour les Sénégalais, et nous avons donc un temps envisagé de nous implanter à Paris. Mais, nous souhaitions que notre projet soit utile aux jeunes Européens également. Or, la formation française se porte bien, ce qui est loin d'être le cas de la formation anglaise comme tu le sais. Les derniers rapports de l'Observatoire du Football montrent une nouvelle fois que les jeunes issus des centres de formation anglais ont de moins en moins leur chance dans leur club formateur. La formation anglaise est en panne, les clubs de Premier League attirent beaucoup d'expatriés. Les résultats de l'équipe nationale s'en ressentent. Nous souhaitons relancer, à notre niveau, la formation britannique.

- C'est aussi le championnat qui génère le plus d'argent, grâce aux droits TV notamment.

- Tu as raison, et cela a également influencé notre décision. Nous espérons pouvoir faire progresser notre club et profiter de ces sources de revenus. Cet argent sera ensuite réinjecté en partie au Sénégal afin de moderniser l'institut. Dans un premier temps, nous prévoyons qu'environ 50 000 € par an soient transférés des Diambars UK vers les l'institut de Saly. Cela sera bien sûr évolutif.

- C'est très ambitieux, car le foot anglais est très compétitif même dans les divisions inférieures…

- Nous sommes ambitieux et optimistes. Mais il est clair que nous n'avons que très peu de revenus et que nous n'aspirons pas à devenir un club multi-milliardaire comme City ou United. Nous nous efforcerons donc d'appliquer les principes du Money-Ball. Tu connais cette philosophie ?

- Oui, un peu. Il s'agit de ce club de base-ball des A's d'Atlanta, qui, avec peu d'argent est parvenu à rivaliser avec les plus fortunés en se basant sur un recrutement le plus objectif possible. Si je ne me trompe pas, le manager général du club a fait appel à un spécialiste afin d'analyser les joueurs sur des critères exhaustifs et objectifs. Ils ont ainsi réussi à attirer des joueurs sous-cotés, dont les autres clubs ne voulaient pas pour des raisons très subjectives.

- Oui, ça c'est la philosophie d'origine. En élargissant le concept, il s'agira pour nous de recruter le moins possible en ciblant le plus exactement possible nos recrues. Nous devrons aussi surveiller très étroitement toutes les dépenses, à commencer par la masse salariale. Tous les bénéfices générés seront alloués en priorité à la formation et à l'encadrement des jeunes du club.

- Les contraintes sont importantes, mais comment être sûr de générer suffisamment de profits ?

- Nous n'avons pas choisi la ville de Stockport par hasard. En fait, nous prospections dans le Grand Manchester et dans la banlieue de Birmingham. Ce sont deux grands réservoirs de jeunes joueurs. Au final, nous avons eu une opportunité très intéressante à Stockport. Le club local de Stockport County allait mal depuis des années, avec des changements de propriétaires successifs. Le club a sombré jusqu'en Ligue Nationale Nord, la sixième division, alors qu'il se trouvait en 2ème division dans les années 90. Le président actuel ne souhaite pas poursuivre l'aventure. Nous l'avons contacté et avons réussi à trouver un arrangement. Le club possède un stade de plus de 10 000 places et plus de 2 000 fidèles abonnés. Actuellement, il y a une moyenne de 2 500 spectateurs lors de leur matchs à Edgeley Park, leur stade. Le prix moyen des abonnements étant de plus de 300 € et le prix moyen des places aux alentours de 21 €, cela constituera notre principale source de revenus.

- Cela me paraît intéressant. Quels seraient nos objectifs pour les 5 premières années ?

- Premièrement, il s'agira bien sûr d'assurer la pérennité financière du club. Ensuite, nous envisageons de faire monter le club en Ligue Nationale, la 5ème division, dans un horizon de deux ans. D'ici la 5ème saison, nous espérons réussir à placer l'équipe en League Two, la 4ème division, en passant du statut semi-pro au statu professionnel. Oui, je ne t'ai pas précisé que nous devrons débuter avec un statut semi-professionnel.

- Et quels sont les objectifs à long terme ?

- Nous nous donnons 15 saisons pour accéder à la Premier League. C'est ambitieux mais jouable avec une gestion sérieuse du club. A partir de là, nous nous fixerons pour but de devenir le meilleur club formateur du Big-5, notre rêve étant de former des joueurs pour les plus grands clubs et pour les sélections anglaise et sénégalaise. Durant notre progression, nous envisageons aussi d'élargir nos partenariats avec d'autres clubs formateurs en Afrique.

- Si je comprends bien votre philosophie, les objectifs sportifs ne sont pas des finalités mais des moyens au service de la formation…

- Exactement. Il est évident que nous ne pourrons atteindre notre mission de formation qu'en étant de plus en plus compétitifs sportivement.

- Et quel sera mon rôle dans tout ça ?

- En tant que directeur sportif, tu seras chargé du recrutement et de la formation. Tu veilleras à l'équilibre financier du club. Tu travailleras en étroite collaboration avec le futur coach.

- Et qui sera le coach ?

- Rien de définitif pour le moment. Mais nous avons contacté plusieurs anciens internationaux sénégalais qui connaissent bien le foot anglais. Pat' bosse sur le dossier actuellement.

- Le projet semble alléchant ! Je pense que je vais poursuivre ma réflexion en intégrant tous les éléments que vous venez de me fournir.



En quittant l'institut pour rejoindre la chambre d'hôtel que j'ai réservée en centre-ville, je fais le bilan de l'entretien, et je constate rapidement que ma décision est nette. Je ne peux pas rater l'occasion de participer à un projet comme celui-ci.

Dès le lendemain, je retourne donc à l'institut pour confirmer mon engagement auprès de Pat' et de Saer. Ils sont ravis de ma décision. Nous mettons donc en place l'échéancier afin de préparer notre prise de fonction du club dès la fin de la saison en cours. Nous décidons de nous rendre à Stockport dès le mois de février afin de rencontrer le président et annoncer nos intentions pour notre prise de fonction : changement de nom du club, nouveaux maillots … Le planning s'annonce chargé si nous souhaitons être opérationnels pour la saison 2015/2016.


Au boulot !!!

dimanche 22 novembre 2015

Chapitre III : Un nouvel élan ?

 Je tremble de tous mes membres ! Il est là, devant moi, mon idole est là ! Bakary est déjà sorti du 4x4. Quant à moi, je suis comme paralysé, pétrifié. Que fait-il ici ? Comment me comporter face à lui ? Je me décide enfin à ouvrir la portière, sans savoir si mes jambes réussiront à me porter une fois dehors. Je prends une grande respiration et m'avance vers la concession. Mon grand-père vient à ma rencontre le premier. Le mélange de joie et d'angoisse que je ressentais il y a encore quelques minutes à l'idée de le retrouver, tout cela a disparu. Je l'embrasse, prend des nouvelles de sa santé, de la famille, mais à vrai dire, je n'écoute pas ses réponses, tant mon esprit et mon regard sont ailleurs, tournés vers l'homme qui se tient là, à quelques mètres de moi.

Il s'approche de moi et me tend la main :
« Bonjour Junior, enchanté de te rencontrer.
- Bon...Bonjour M. Vieira. Enchanté ! Je suis tellement honoré de vous rencontrer. »

Je savais que mon grand-père connaissait Patrick Vieira, tout comme mon père d'ailleurs. Mais comment aurais-je pu imaginer le rencontrer ici un jour ? Je peine à me remettre de mes émotions.

Nous nous installons sous le manguier, les petits-enfants de mon grand-père nous apportent le traditionnel attaya, le thé sénégalais, et nous entamons les palabres. Pendant une bonne trentaine de minutes, nous parlons de tout et de rien : du Sénégal, ce pays que nous avons quitté très tôt Patrick et moi, de l'Angleterre, pays dans lequel nous vivons désormais tous les deux, lui à Manchester, moi à Londres.

Tout au long de cette discussion, je ne suis obnubilé que par une seule chose : savoir ce qu'il fait ici, à Coubanao, chez mon grand-père, dans ce village perdu de Casamance. Et c'est après cette demi-heure de palabres, alors que nous entamons le 3ème attaya, qu'il commence à évoquer le sujet.
« Bon, Junior, tu te demandes sûrement ce que je fais ici.
- Oui.
- Alors voilà, avant que ton père ne meurt, siggil ndigalé, que la terre lui soit légère, nous avions un projet commun. Tu sais, Junior, ton père aimait profondément son pays et il comptait y revenir pour lui rendre tout ce qu'il avait pu acquérir durant sa vie et sa carrière.
- Oui, je sais qu'il préparait son retour au Sénégal avant que son AVC ne le frappe.
- Nous nous étions rencontrés souvent avant son accident, et nous étions tombés d'accord pour qu'il travaille avec nous à l'institut Diambars de Saly. Il devait y devenir entraineur-formateur.
- Je l'ignorais.
- Junior, ton père est aussi à l'origine d'un autre projet, qui s’apprête à éclore aujourd'hui.
- De quoi s'agit-il ?
- Comme je te l'ai dis, il aimait son pays et souhaitais revenir pour aider les jeunes Sénégalais. Mais il pensait aussi que l'institut Diambars devait s'élargir afin de devenir plus efficace.
- C'est-à-dire ?
- En fait, avec Tonton Bocandé, ton père, nous projetions d'ouvrir une section sportive ici en Europe, afin d'offrir des débouchés potentiels aux joueurs formés au Sénégal et aussi afin de profiter de l'argent présent dans le monde du football occidental. Junior, aujourd'hui, cette idée n'est plus à l'état de projet, elle est sur le point de se concrétiser. Diambars aura désormais un club au Sénégal et un autre en Europe, les Diambars UK. »

Son histoire est très intéressante, mais je ne comprends toujours pas pourquoi il est venu jusqu’ici pour m'en parler. Je ne vais pas tarder à le savoir.

« Junior, je vais en venir au but. Ce club verra le jour dès le mois de juillet prochain, dans la banlieue de Manchester. Si je suis venu jusqu'ici, c'est pour te proposer de participer au projet. Je sais que tu vis en Angleterre et que tu viens de terminer ta thèse de doctorat portant sur l'évolution des structures de formation en Angleterre depuis l'émergence de l'arrêt Bosman et l'arrivée massive de footballeurs étrangers dans les championnats anglais. Si je ne me trompe pas, cette thèse t'a amené à collaborer avec plusieurs grands clubs dont Arsenal et Manchester United.
- Oui, c'est vrai.
- Écoute Junior, c'est simple, je souhaiterais que tu occupes le poste de Directeur sportif dans la section britannique des Diambars. »

J'ai peine à croire ce que j'entends. Je me demande s'il est sérieux ou bien s'il s'agit simplement d'une plaisanterie. Mais je n'ai même pas le temps de lui poser la question, il poursuit :

« L'objectif de cette antenne est d'offrir des débouchés au jeunes de l'institut de Saly, c'est pourquoi j'ai besoin d'une personne comme toi, qui connaisse le Sénégal et le football sénégalais. Mais, depuis ses origines, le projet a évolué. Nous avons compris qu'ici aussi, avec la crise actuelle et le taux de chômage élevé, particulièrement dans la région de Manchester, le football peut être un vecteur d'éducation pour les jeunes. Or, tu le sais mieux que moi encore, le système de formation anglais est en panne. Par ta connaissance de la formation anglaise, tu es la personne parfaite pour nous aider à mettre en place un club formateur permettant aux jeunes de la région de trouver une place dans le football professionnel.
- Je suis très honoré Patrick, mais je n'ai jamais occupé ce poste et je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Ma carrière dans le football s'est vite arrêtée alors que j'étais au centre de formation du RC Lens, et depuis je n'ai entraîné que les équipes jeunes d'un club amateur de mon quartier, dans le sud de Londres. »

Patrick semble être bien trop optimiste quant à mes compétences. C'est une lourde responsabilité qu'il me propose. D'un autre côté, mon père serait fier de me voir occuper ce poste. En serai-je vraiment capable ?

« Junior, je t'assure que ma proposition est sérieuse, je ne serai pas venu jusqu'ici sinon. Tu connais le milieu du foot, tu connais le Sénégal aussi bien que l'Angleterre, tu connais le système de formation britannique, tu es exactement la personne qu'il nous faut. Écoute, je vais te laisser le temps de te reposer et d'y réfléchir. Moi, je suis à l'institut de Saly jusqu'au 17 décembre. Je te laisse mon numéro, s'il te plaît, rappelle-moi dans quelques jours pour me dire ce que tu penses de mon offre.
- D'accord, je vais y réfléchir. »

Il me salua, partit dire au revoir à mon grand-père et repartir aussitôt, me laissant là, perplexe, perdu, complètement sonné.

« Qu'est-ce qu'il t'a dit ? Me demande Bakary qui venait de me rejoindre.
- Il… Je… c'est… tu…. Tu ne me croiras jamais Bakary ... »

Effectivement, Bakary a eu du mal à me croire. Quant à moi, il m'a fallu plusieurs jours pour me remettre de cette visite. Mais aujourd'hui, la perplexité a laissé place à la curiosité. Où Patrick Vieira compte-t-il implanter son club exactement ? Comment compte-t-il faire, créer un club de A à Z ? Ou bien a-t-il eu une proposition pour fusionner avec un club existant ? Dans quelle compétition sera inscrite l'équipe senior ? Où va-t-il trouver des joueurs pour la première saison ? Qui sera l’entraîneur ? Qu'attend-il de moi ? …

Il faut que je l'appelle pour avoir des réponses. Je ne me sens toujours pas à la hauteur des espoirs qu'il a placés en moi, je ne me fais pas d'illusions, mais quelque chose m'attire malgré moi. Peut-être mon désir profond de me rapprocher de ce que mon père aurait souhaité que je sois…

« Allô, Patrick, bonjour, c'est Junior. J'ai bien réfléchi, j'aimerai que tu m'en dises plus au sujet de ton projet.
- Bonjour Junior, je suis content que tu m'appelles. Écoute, viens ici à l'institut, tu pourras voir de plus près notre fonctionnement et notre philosophie, et je t'expliquerai plus en détail notre projet Diambars UK. »

jeudi 22 octobre 2015

Chapitre II : Kassoumaye Casamance !

     Après une nuit agitée, c'est les yeux encore tout embrumés que je m'avance, ce matin du 3 décembre 2014, sur le pont du bateau. Il a maintenant quitté les eaux maritimes et remonte tranquillement le fleuve. L'air doux et humide du jour qui se lève, le calme alentour, la vue des dauphins accompagnant le ferry, les retrouvailles avec ma région natale, tout cela provoque en moi un sentiment de bien-être et d'euphorie que je n'ai pas ressenti depuis bien longtemps ! Soudain, j'aperçois au loin les deux grandes antennes reconnaissables entre mille… oui, nous approchons de notre destination, Ziguinchor ! La joie me submerge et je me surprends à murmurer, en fixant les antennes, ces mots venus du fond du cœur : « Kassoumaye Casamance ! », « Bonjour Casamance ! ».




     Il m'a fallu plus de 45 minutes, une fois le bateau accosté, pour récupérer mes bagages, me soumettre aux formalités administratives et enfin sortir de la gare maritime. Alors que je m'approche de la route principale, je commence à scruter les environs, à la recherche de mon ami Bakary qui doit venir me chercher. Sur le trottoir d'en face, j'aperçois un homme qui descend d'un pick-up Mitsubishi blanc. C'est bien lui, Bakary ! Nous nous serrons dans les bras, tous deux émus par nos retrouvailles.


« Hey , Bakary ! Mon frère ! Je suis tellement heureux de te revoir ! Comment tu vas ?
- Junior ! Ca va, et toi ? Tu as fait bon voyage ?
- Un peu mouvementé, mais bon, tu sais de quoi je parle !
- Oui, vraiment, c'est difficile de venir jusqu'ici, tu dois être épuisé. Donne-moi tes bagages. »

     Bakary et moi sommes les meilleurs amis du monde ! Nous avons grandis ensemble, dans le village de Coubanao, à une trentaine de minutes de Ziguinchor. Enfin, quand je dis « grandis », c'est un bien grand mot, car j'ai quitté le Sénégal à l'âge de 7 ans, lorsque mon père fut transféré du PSG à l'OGC Nice. A ma naissance, il était encore l'attaquant vedette du Casa Sport, le club de Ziguinchor, mais un évènement venait de bouleverser sa carrière : il fut exclu à vie du championnat sénégalais pour avoir fait un croc-en-jambe à un arbitre. Deux choix s'offrirent alors à lui : soit arrêter sa carrière, soit la poursuivre à l'étranger. La décision fut très difficile à prendre pour lui, mais quand un ami le mit en contact avec l'US Tournaisienne, tout juste promu en Division 3 belge, il se résolut à accepter l'offre du club belge et nous laisser ici, ma mère et moi. J'étais bien sûr trop petit pour voyager, et puis il tenait beaucoup à ce que je sois éduqué « au village », au milieu de ma culture diola. Même lorsque nous le rejoignîmes vivre à Nice, il s'arrangea pour que je retourne chaque année au pays.

     Le pick-up emprunte maintenant la piste chaotique reliant Ziguinchor à Coubanao. Tous mes souvenirs d'enfance remontent à la surface à la vue de ce paysage rouge et vert. Le rouge de la latérite recouvrant la piste, le vert de la végétation luxuriante tout autour.

« Cela fait longtemps qu'on ne t'a pas vu, me dit Bakary, l'air un peu réprobateur.
- Oui, j'étais très occupé ces temps-ci, tu sais ce que c'est, il faut bien faire vivre la famille…
- Oui, je comprends, mais je ne suis pas sûr que tout le monde se montre aussi compréhensif au village. Tu sais, beaucoup n'ont pas compris pourquoi tu étais absent en 2012, pour… enfin… tu vois ce que je veux dire... »

     Évidemment que je vois ce qu'il veut dire. Le 7 mai 2012, comment pourrais-je oublier cette date, qui hante encore régulièrement mes nuits. Voir son père mourir à 53 ans, qui pourrait s'en remettre. Désormais, je ne peux que regretter le peu d'années que j'ai passées auprès de lui, entre mon enfance en Casamance et mon départ à 19 ans pour continuer mes études à Londres. Si seulement je pouvais avoir une De Lorean et retourner dans le passé …

« Bakary, tu sais que j'aurais tout fait pour être là aux obsèques, mais la vie en a voulu autrement.
- je comprends frangin, je comprends. T'inquiète, on est ensemble. »

     La vérité, c'est que la nouvelle de la mort de mon père m'a totalement traumatisée. J'étais noyé dans la tristesse, les regrets de ne pas l'avoir suffisamment côtoyé, la culpabilité de n'avoir rien pu faire pour le sauver et de ne pas avoir été le fils qu'il aurait souhaité. Je n'ai pas trouvé la force de me rendre au Sénégal pour assister à l'enterrement de mon père, ce qui, finalement, ne fait qu'augmenter ma culpabilité aujourd'hui.

     L'autre vérité, c'est que depuis plus de deux ans maintenant qu'il a disparu, moi j'ai sombré dans une longue dépression dont je peine à me sortir. Mon père aurait tant aimé que je marche dans ses pas et que je fasse une grande carrière professionnelle. J'avais d'ailleurs réussi à intégrer le centre de formation du RC Lens en 1995, mais des soucis de santé récurrents m'ont vite fait comprendre que mon avenir était ailleurs.

     Nous sommes de plus en plus maltraités par les nids de poule parsemant la piste, signe que nous approchons du but. Suite à ma discussion avec Bakary, l'angoisse vient se mêler à ma joie de revoir mon grand-père. Comment vais-je être accueilli au village ? Comment vais-je être accueilli par mon grand-père ?

     Le 4x4 vire à gauche à l'entrée du village et s'engage sur un petit chemin. C'est là, au bout de ce chemin, que vit mon grand-père. Quelques enfants, bientôt rejoints par une dizaine d'autres, commencent à courir après la voiture en criant des « Kassoumaye ! Kassoumaye ! ». Cela me rassure quelque peu. Soudain, j'entrevois le crâne dégarni de mon grand-père, assis à sa place de toujours, sur son banc, adossé à la clôture de la concession familiale, profitant de l'ombre de notre manguier. J'aperçois une autre personne près de lui, mais je ne parviens pas à la reconnaître : ce n'est pas mon cousin Badara, ni mon oncle Dianko… La voiture s'approche lentement, la silhouette se fait de plus en plus distincte… un homme de grande taille… je connais ce visage… c'est… non… ce n'est pas possible que ce soit lui… il vit à Manchester maintenant…

Je me rends compte que je suis en train de penser à haute voix, et mon air totalement stupéfait semble réjouir Bakary. « Si, c'est bien lui ! » se contente-t-il de me dire dans un grand sourire, alors que nous nous apprêtons à nous garer devant la concession.

Mon cœur bat comme jamais, que vais-je pouvoir lui dire...

dimanche 18 octobre 2015

Chapitre I : La terre de mes ancêtres

Il fait particulièrement chaud en cette après-midi de décembre, et la sècheresse de l'air ambiant est intenable ! Le vacarme et l'agitation de la rue m'étourdissent, alors que je hèle un des rares taximens qui osent s'aventurer dans les rues sableuses du quartier des parcelles assainies. « Psss, psss », fais-je, comme il est de coutume ici lorsqu’on veut stopper un taxi. Une vieille Toyota jaune et noire s'immobilise devant moi.

« Asalamaleikoum, dis-je pour me présenter à travers la fenêtre passager.
- Maleikoum salam, fo dem ?
- Maay dem ci port bi. Gnata la ?
- 2 000 francs.
- Bare na trop ! 1 000 francs.
- 1 500.
- Baax na, gnu dem. »

Malgré mon vocabulaire limité, la négociation en wolof me permet de faire comprendre au chauffeur que je ne suis pas un simple touriste qu'il pourra arnaquer, malgré mon teint métissé et mon allure qui trahit mon arrivée récente. L'affaire conclue, je m'installe sur la banquette déchiquetée de la voiture. La portière se referme dans un bruit de taule, puis le chauffeur s'élance tant bien que mal au milieu du sable qui envahit les rues. Après une centaine de mètres, le véhicule rejoint le « goudron » et poursuit sa route en direction du port. Dans la voiture, la conversation se poursuit en français.

« Tu prends le ferry ? Me demande le taximan après quelques minutes de silence.
- Oui, je vais en Casamance.
- Cap Skirring ? Quel hôtel as-tu réservé ? Si tu veux j'ai un cousin qui habite là-bas, il pourra te faire visiter la région… »

Ma négociation en wolof ne semble pas avoir totalement convaincu l'homme, qui me prend malgré tout pour un touriste. Je l'interromps : « Je ne viens pas en vacances, j'ai de la famille en Casamance. Je viens rendre visite à mon grand-père. »Ces paroles ont semblé calmer la curiosité de notre conducteur et le silence s'installe de nouveau dans le véhicule. Enfin… un silence tout relatif, au milieu du brouhaha du trafic et des coups de klaxons à tout va.



Nous arrivons au port. Il me dépose près du portail d'accès, d'où j’aperçois déjà la silhouette du ferry, le "Aline Sitoë Diatta", qui remplace le "Joola" depuis son naufrage tragique en 2002. Je règle la course, sors mes bagages de la malle arrière et me dirige vers le hall d'attente.

Durant cette interminable attente, je m'évade dans mes pensées, alimentées par l'impatience de retrouver mon grand-père, cet homme que j'admire tant. Cela fait des années qu'il vit sa paisible retraite dans le village de son enfance, Coubanao. Un haut-parleur annonce le début de l'embarquement, ce qui m'extirpe de mes songes. Je me lève et monte à bord du ferry. Demain matin, après toute une nuit de trajet le long des côtes sénégalaises, le bateau s'engouffrera dans l'embouchure du fleuve Casamance, au milieu des dauphins et des pêcheurs au filet. J'ose à peine imaginer quelle sera mon émotion au moment de fouler de nouveau, après tant d'années, la terre de mes ancêtres…


Les sirènes du bateau retentissent, les moteurs s'emballent, le navire entame son long voyage...

dimanche 11 octobre 2015

Les premiers chapitres sont en cours de rédaction et devraient être publiés d'ici 15 jours, un peu de patience ...

samedi 10 octobre 2015

Concept

Bienvenue sur le blog des Diambars UK !!

Le concept est le suivant : relater une partie de Football Manager en l'incluant dans une histoire fictive, à la manière des "stories" du site www.footmanager.net.

Bonne lecture...